Dans la dernière séance, j’ai indiqué sommairement les expériences que j’avais été conduit à faire pour mettre en évidence les radiations qui traversent divers corps opaques pour la lumière.
J’ai pu étendre ces observations, et, bien que je me propose de continuer et de développer l’étude de ces phénomènes, leur actualité me conduit à exposer, dès aujourd’hui, les premiers résultats que j’ai obtenus.
Les expériences que je rapporterai ont été faites avec les radiations émises par des lamelles cristallines de sulfate double d’uranyle et de potassium [SO⁴(UO)K + H²O], corps dont la phosphorescence est très vive et la durée de persistance lumineuse inférieure à $\frac{1}{100}$ de seconde. Les caratères des radiations lumineuses émises par cette substance ont été étudiés autrefois par mon père et j’ai eu, depuis, l’occasion de signaler quelques particularités intéressantes que présentent ces radiations lumineuses.
On peut vérifier très simplement que les radiations émises par cette substance, quand elle est exposée au soleil ou à la lumière diffuse du jour, traversent, non seulement des feuilles de papier noir, mais encore divers métaux, par exemple une plaque d’alumunium et une mince feuille de cuivre. J’ai fait notamment l’expérience suivante :
Une plaque Lumière, au gélatino-bromure d’argent, a été enfermée dans un châssis opaque en toile noire, fermé d’un côté par une plaque d’aluminium; si l’on exposait le châssis en plein soleil, même pendant une journée entière, la plaque ne serait pas voilée; mais, si l’on vient à fixer fixer sur la plaque d’aluminium, à l’extérieur, une lamelle du sel d’uranium, que l’on peut, par exemple, assujettir avec des bandes de papier, et si l’on expose le tout pendant plusieurs heures au soleil, on reconnaît, lorsqu’on développe ensuite la plaque par les procédés ordinaires, que la silhouette de la lamelle cristalline apparaît en noir sur la plaque sensible et que le sel d’argent a été réduit en face de la lamelle phosphorescente. Si la lame d’aluminium est un peu épasse l’intensité de l’action est est moindre qu’au travers de deux feuilles de papier noir.
Si, entre la lamelle du sel d’uranium et la lame d’aluminium ou le papier noir, on interpose un écran formé d’une lame de cuivre, de 0,10 mm environ d’épaisseur, par exemple en forme de croix, on observe dans l’image la silhouette de cette croix, en plus claire, mais avec une teinte indiquant cependant que les radiations ont traversé la lame de cuivre. Dan une autre expérience, une lame de cuivre plus mince (0,04 mm) a affaibli beaucoup moins les radiations actives.
La phosphorescence provoquée, non plus par les rayons solaires directs, mais par les radiations solaires réfléchies sur le miroir métallique d’un héliostat, puis réfractées par un prisme et une lentille de quartz, a donné lieu aux mêmes phénomènes.
J’insisterai particulièrement sur le fait suivant, qui me paraît tout à fait important et en dehors des phénomènes que l’on pouvait s’attendre à observer : Les mêmes lamelles cristalines, placées en regard de plaques photographiques, dans les mêmes conditions et au travers des mêmes écrans, mais à l’abri de l’excitation des radiations incidentes et maintenues à l’obscurité produisent encore les mêmes impressions photographiques. Voici comment j’ai été conduit à faire cette observation : Parmi les expériences qui précèdent, quelques-unes avaient été préparées le mercredi 26 et le jeudi 27 février et, comme ces jours-là, le soleil ne s’est montré que d’une manière intermittente, j’avais conservé les expériences toutes préparées et rentré les châssis à l’obscurité dans le tiroir d’un meuble, en laissant en place les lamelles du sel d’uranium. Le soleil ne s’étant pas montré de nouveau les jours suivants, j’ai développé les plaques photographiques le 1er mars, en m’attendant à trouver des images très faibles. Les silhouettes apparurent, au contraire, avec une grande intensité. Je pensai aussitôt que l’action avait dû continuer à l’obscurité et je disposai l’expérience suivante :
Au fond d’une boîte en carton opaque, j’ai placé une plaque photographique, puis, sur la face sensible, j’ai posé une lamelle du sel d’uranium, lamelle convexe qui ne touchait le gélatino-bromure que seulement en quelques points; puis, à côté, j’ai disposé sur la même plaque une autre autre lamelle du même sel, séparée de la surface du gélatino-bromure par une mince lame de verre; cette opération étant exécutée dans la chambre noire, la boîte a été refermée, puis enfermée dans une autre boîte en carton, puis dans un tiroir.
J’ai opéré de même avec le châssis fermé par une plaque d’aluminium, dans lequel j’ai mis une plaque photographique, puis à l’extérieur une lamelle du sel d’uranium. Le tout a été enfermé dans un carton opaque, puis dans un tiroir. Au bout de cinq heures, j’ai développé les plaques, et les silhouettes des lamelles cristallines ont apparu en noir, comme dans les expériences précédentes et comme si elles avaient été rendues phosphorescentes par la lumière. Pour la lamelle posée directement sur la gélatine, il y avait à peine une différence d’action entre les points de contact et les parties de la lamelle qui s’écartaient d’un millimètre environ de la gélatine; la différence peut être attribuée à la distance différente des sources des radiations actives. L’action de la lamelle placée sur une lame de verre a été très légèrement affaiblie, mais la forme de la lamelle a été très bien reproduite. Enfin, au travers de la feuille d’aluminium, l’action a été considérablement plsu faible, mais cependant très nette.
Il importe d’observer que ce phénomène ne paraît pas devoir être attribué à des radiations lumineuses émises par phosphorescence, puisque, au bout de $\frac{1}{100}$ de seconde, ces radiations sont devenues si faibles qu’elles ne sont presque plus perceptibles.
Une hypothèse qui se présente assez naturellement à l’esprit serait de supposer que ces radiations, dont les effets ont une grande analogie avec les effets produits par les radiations étudiées par MM. Lenard and Röntgen, seraient des radiations invisibles émises par phosphorescence, et dont la durée de persistance serait infiniment plus grande que la durée de persistance des radiations lumineuses émises par ces corps. Toutefois, les expériences présentes, sans être contraires à cette hypothèse, n’autorisent pas à la formulaer. Les expériences que je poursuis en ce moment pourront, je l’espère, apporter quelques éclaircissements sur ce nouvel ordre de phénomènes.